mardi 27 août 2019

Sur ma tombe : Les Années


" Toutes les images disparaitront […] Les images réelles ou imaginaires, celles qui suivent jusque dans le sommeilles. Les images d’un moment baignées d’une lumière qui n’appartient qu’à elles.

Elles s’évanouiront toutes d’un seul coup comme l’ont fait les millions d’images qui étaient derrière les fronts des grands-parents morts il y a un demi-siècle, des parents morts eux aussi […]. Et l’on sera un jour dans le souvenir de nos enfants au milieu de petits-enfants et de gens qui ne sont pas encore nés. Comme le désir sexuel, la mémoire ne s’arrête jamais. Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l’histoire […].

Tout s’effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s’éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d’une table de fête on ne sera qu’un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d’une lointaine génération."

- "Les Années" par Annie Ernaux aux éditions Gallimard Parution 2008 -
Adaptation de la citation de fin du film "Guy" réalisé par Alex Lutz sorti en 2018
 

jeudi 1 août 2019

Si tant est qu'ils le voient tout court



"- C'est des conneries, et c'est pas des façons d'élever une enfant, de faire comme si le monde touche à sa fin, simplement parce que tu préférerais qu'il en soit ainsi.
 - Pas des façons d'élever un enfant ? Si tu n'es pas convaincu que le monde va mal, papa, c'est que tu ne regardes pas autour de toi. [...] Comment on a pu faire naitre Julia dans un monde aussi merdique ? [...] Comment tu veux élever une enfant en compagnie de tous ces connards égocentriques qui ont détruit et gâché le monde dans lequel elle aurait dû grandir ? Et qu'est-ce qu'elle pourra jamais comprendre à ces gens-là ? Rien. Aucune négociation n'est possible. Aucune alternative. Ils tuent le monde et ils continueront, et ils ne changeront jamais, et ils ne s’arrêteront jamais. Rien de ce que je peux faire, de ce qu'elle peut faire, ne les fera changer d'avis, parce qu'ils sont incapables de penser, de concevoir le monde comme une entité en dehors d'eux-mêmes. Si tant est qu'ils le voient tout court, ils estiment que ce monde-là leur est dû. Et tu me dis que ma rage envers ces gens-là, envers cette société, ce sont des conneries ? ..."


- My Absolute Darling par Gabriel Tallent aux éditions Gallmeister. Parution 2018 -