lundi 11 mars 2013

Man on wire



Cette histoire-là ne tient qu'à un fil. Un fil d'une soixantaine de mètres de long, sur lequel s'est promené Philippe Petit, le 7 août 1974, entre les toits des défuntes tours du World Trade Center (WTC)... Huit allers-retours à 417 mètres au-dessus du sol : un exploit certes fascinant, mais depuis longtemps digéré. Autant dire qu'il ne semblait a priori guère fournir de matière à récit une trentaine d'années plus tard.

Le réalisateur britannique James Marsh l'a pourtant revisité en 2008. Il en résulte un documentaire de 90 minutes, dont aucune n'est de trop. Par la grâce d'un montage très soigné, qui articule parfaitement témoignages, images d'archives et scènes reconstituées, on se laisse attraper d'emblée dans cette épuisette, d'où l'on ressort les mains moites. Ressuscitant une tension et un suspense depuis longtemps disparus, ce film a reçu l'Oscar du meilleur documentaire en 2009.

L'aventure qu'il relate a débuté bien avant que le funambule ne fasse son premier pas au-delà du toit de l'une des Twin Towers. Ces dernières n'étaient pas encore construites que Philippe Petit rêvait de leurs sommets. Il était irrésistiblement attiré vers le ciel depuis sa plus tendre enfance, quand d'autres, sujets à un vertige plus commun, ont toujours le ventre serré rien qu'à partager fugitivement ses songes. 
"Personne ne pouvait m'arrêter", se souvient-il...


Son ex-compagne, Annie, raconte que Philippe Petit lui avait "présenté son fil, installé au bout d'un jardin", peu après leur première rencontre. Elle fut de toutes ses aventures. Les tours de Notre-Dame de Paris, en juin 1971 ; les arches du pont de Sydney, deux ans plus tard... Inaccessibles pour le commun des mortels, ce furent presque des pis-aller pour le funambule, qui n'avait pas dételé du WTC depuis qu'il en avait découvert le projet en feuilletant un magazine dans la salle d'attente d'un dentiste.

Plus vertigineuse encore que les tours jumelles, sa passion attira et emporta tout sur son passage : les résistances d'Annie - "C'était inhumain. Ça devenait un peu démoniaque. J'avais envie de dire "stop"" -, ainsi que l'incrédulité de ses autres compagnons de route, embarqués dans l'aventure sans avoir le temps d'y réfléchir. Des films amateurs montrent à quel point la préparation de ce projet n'eut rien de professionnel. On y voit une bande de gamins joyeux et insouciants, qui tirent à l'arc et se roulent dans l'herbe. Ils rient, se disputent, se lassent, s'éloignent, mais y reviennent. Un regard les cimente quand le rêve menace de se dissiper. "Il y avait dans ses yeux une telle folie, une telle rage !", se souvient Annie.

Cette folie aura raison de tous les obstacles, dont ce film dresse un minutieux récit, à la manière d'un thriller. Car c'est un formidable "casse" qu'il leur fallut perpétrer pour ouvrir à l'un d'eux la porte des nuages. "Pourquoi ? Pourquoi ?", lui demanda-t-on de toute part quand il en fut redescendu. "Ce qui est beau, répond ici ce poète, c'est qu'il n'y avait pas de pourquoi."

"Man on Wire"  (Le Funambule) de James Marsh 
(Royaume-Uni, 2008, 90 min).




Article de Jean-Baptiste de Montvalon pour le Monde

Source: http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/09/26/le-funambule_1764099_3246.html