mercredi 12 octobre 2011

Zone Euro : soit la fédéralisation, soit l'éclatement...

La crise de la zone euro n’en finit pas de distiller son parfum de fin de monde. A chaque jour sa mauvaise nouvelle : girations des marchés, divagations des politiques, souffrances des peuples abandonnés. 
Pour quelle issue ? On sait que les pays faibles ne peuvent pas sortir de la zone euro car leur dette extérieure serait réévaluée du montant de la dévaluation de leur nouvelle devise tandis que les taux d’intérêt sur leur dette augmenteraient fortement. Seuls les pays forts peuvent sortir car leur nouvelle devise se réévaluerait. Mais ces derniers n’ont pas intérêt à sortir tant que les dettes publiques de la France, de l’Italie et de l’Espagne ne sont pas simultanément attaquées. En attendant cette attaque, qui semble désormais inéluctable, deux thèses s’affrontent sur l’euro.

Certains pensent que la mise en place d’un Mécanisme européen de stabilité (MES) au 1er janvier 2013, pour remplacer l’actuel Fonds européen de stabilité financière de 440 milliards d’euros, et la réforme du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) pour le rendre plus contraignant, avec un ‘Pacte pour l’euro plus’ comprenant des réformes de compétitivité, vont suffire à pérenniser la zone euro telle qu’elle est. D’autres pensent que la stagnation actuellement imposée aux pays du sud de la zone rend impossible un retour à la croissance qui permettrait seul de rembourser les dettes. Or, malheureusement, les niveaux d’excédents budgétaires primaires (avant paiement des intérêts) nécessaires pour que la Grèce ou le Portugal puissent se rétablir sont inatteignables. L’Espagne est proche de cette situation d’impossibilité.

Quel est le problème fondamental de la zone euro ? 
C’est une zone aujourd’hui cassée en deux. Non seulement la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale, mais elle n’est pas dotée d’un gouvernement économique avec un budget fédéral opérant des transferts automatiques entre les pays en bonne santé et les autres, ainsi que ce mécanisme fonctionne aux Etats-Unis grâce au puissant budget fédéral américain. De plus, et surtout, la zone a divergé avec deux groupes de pays : le premier groupe centré autour de l’Allemagne a choisi il y a dix ans un modèle de développement économique fondé sur l’industrie et l’exportation, qui produit des excédents extérieurs de 4% du PIB, tandis que le second groupe, centré sur la France, l’Italie et l’Espagne, a choisi un modèle fondé sur la consommation et les loisirs qui donne des déficits extérieurs compris entre 2% et 4% du PIB. En France, qui plus est, la consommation est tirée par une dépense publique financée par le déficit, c’est-à-dire l’emprunt. Le point clé est que la moitié des excédents de la zone nord se fait au détriment de la zone sud. Or l’approche officielle pour traiter les déséquilibres de la zone euro consiste à demander à la zone sud d’adopter le modèle exportateur de la zone nord. C’est évidemment un projet dément alors même que l’euro s’établit autour de 1,4 dollar et que la zone sud n’est plus compétitive au-delà de 1,2 dollar. Supposons néanmoins que la zone sud parvienne à se réindustrialiser. Non seulement se fermeraient les marchés actuels de la zone nord, mais l’ensemble de la zone serait fortement exportatrice, ce qui exigerait, avec une Asie également excédentaire, des déficits extérieurs croissants des Etats-Unis qui accentueraient la chute du dollar. Il y a donc une impossibilité technique à réussir la mise en œuvre de l’approche des autorités officielles de la zone euro.

Que faire ? Soit on rétablit une flexibilité du change entre la zone nord et la zone sud, par la sortie de la zone des pays du nord, soit on prolonge l’agonie des pays du sud car la crise de l’euro a provoqué le retour de la contrainte extérieure : les pays durablement déficitaires vont s’écraser sur le mur de la dette. On se doute que les pays du nord ne sortiront pas avant une crise grave des grands pays du sud se tournant vers le nord pour demander 2 000 à 2 500 milliards d’euros d’aides, ce qui va nécessairement arriver à bref délai. Pour éviter l’agonie du sud, il faudrait se résoudre à une fédéralisation partielle de la zone. Celle-ci pourrait inclure l’Allemagne, le Benelux et l’Autriche, la France, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Naîtrait instantanément la deuxième puissance économique du monde. L’Europe reviendrait sur l’échiquier politique mondial et pourrait aborder plus sereinement les crises géopolitiques en préparation. Mais l’on sait que la probabilité de cette occurrence, pourtant hautement souhaitable, est aujourd’hui quasi nulle.

Dans ce contexte, la seule solution raisonnable est une sortie de l’Allemagne, des Pays-Bas et de l’Autriche de la zone euro, qui n’interviendra toutefois que lorsque les dettes publiques de la France et de l’Italie seront attaquées car aucun gouvernement ne peut prendre cette décision à froid. La France, qui a subi la plus forte désindustrialisation en Europe depuis 1998, devra rester dans la zone euro tout en opérant enfin une forte réduction de son déficit public. Le rétablissement progressif du commerce extérieur nous redonnera les bases d’une croissance saine. Etant devenu le pays fort de la zone euro, nous pourrons sortir de la zone euro, avec l’Italie, si la situation des pays les plus en difficulté ne se rétablit pas. Un nouvel axe politique franco-allemand relancera la construction européenne.

La crise libératrice est proche.

Article paru dans le Monde daté du 23 juillet 2011 
De Christian Saint-Etienne (Économiste universitaire et analyste politique Français)