Ce
qui arrive à la France, arrive avant tout dans le monde entier. Et, d'après la
plupart des observateurs mondiaux, il s'agira de la plus grave crise depuis la
seconde guerre mondiale. Bien plus grave que la crise de 2008, que le 11
septembre 2001, ou que d'autres événements de ces dernières décennies.
Aujourd'hui,
je ne cesse de lire des critiques, selon lesquelles il aurait fallu faire ceci,
ne pas faire cela, à propos de masques, de dépistage, de confinement, de
traitements, de chloroquine, d'hôpitaux, d'impôts, de subvention, de
communication, de mondialisation, que sais-je... Tout le monde y va de son
avis, et, pour beaucoup, se plaignent, partagent des statuts Facebook dont les
auteurs semblent profiter de la situation pour mener des combats politiciens,
ou se mettent à croire à des complots plus ou moins débiles.
Il
est extrêmement facile de critiquer les décisions de ceux qui agissent. Surtout
quand les décisions :
-
sont prises dans l'urgence,
-
concernent des dizaines de millions de personnes, des millions d'entreprises,
des milliers de secteurs d'activité dépendants tous les uns des autres,
-
doivent prendre en compte des milliers d'inconnues et de facteurs qui évoluent
en permanence,
- et
surtout, bouleversent les ordres, les organisations et les priorités qui
étaient en vigueur il y a encore seulement 3 semaines, et les bouleversent à un
niveau de remise en cause qui n'avait pas été atteint depuis la dernière guerre
mondiale.
C'est
facile de critiquer en disant "pourquoi pas plus de masques, plus de
tests, blablabla...". Je me rappelle encore des moqueries autour d'un
autre ministre qui avait commandé des milliers de vaccins, au cas où...
Personne ne pouvait prévoir ce qui est arrivé. Il est impossible d'anticiper
tous les événements ponctuels et aléatoires qui se produisent une fois par siècle.
Cela aurait pu être un astéroïde frappant la Terre, une nouvelle version plus
mortelle du Sida, une espèce invasive de sauterelles mutantes détruisant les
céréales dans le monde entier, une algue empoisonnant les ressources en eau
potable, que sais-je? Cela aura été un virus se transmettant par éternuement.
Qu'aurait-on fait de millions de masques ou de respirateurs artificiels en cas
d'un nouveau virus du Sida, d'une météorite ou d'une sauterelle mutante?
Dans
une crise comme celle-ci, il est irresponsable de profiter de la confusion pour
ajouter encore plus de confusion.
Aucun
gouvernement ne sera parfait pendant cette crise. Pourtant, j'ai le sentiment
que la plupart des pays européens, dont la France, ont mieux réagi que les
nations menées par des leaders populistes, arrivés récemment au pouvoir, et
portés par cette vague de remise en cause des "élites" que la France
connait depuis quelques temps.
Pour
ne citer que les principaux, oui, j'ai bien plus confiance aujourd'hui en la
France pour faire face à cette situation d'urgence et de remise en cause qu'en
Trump aux USA, Bolsonaro au Brésil, ou Boris Johnson en
Grande-Bretagne...
J'ai
bien plus confiance en la parole des institutions, que ce soit celle des médias
sérieux, celle des autorités qu'elles soient médicales, gouvernementales ou
économiques, que celle des youtubeurs, instagrameurs, des médias
"alternatifs" remplies de vérités "alternatives", de mon
voisin gilet jaune ou qu'un ami de mon oncle qui connait un mec dont la sœur
travaille dans un hôpital.
Profiter
de la situation pour se complaire et se vautrer dans la critique facile, crier
à l'assassin, au complot, mener ses petits combats politiciens franco-français
habituels en se servant de ce virus, relayer les théories fumeuses de
profiteurs ou d'illuminés opportunistes, c'est pathétique, déplorable,
irresponsable.
Il
ne s'agit pas de renoncer à améliorer le monde, de renoncer à toute critique
constructive. Il s'agit de ne pas se laisser emporter par la panique, les
raisonnements simplistes, le fatalisme, les aboiements de circonstance, les
divisions délétères, face à une crise historique et planétaire.
Alors
s'il fallait un message politique, je me permets celui-ci : espérons que cette
crise ne nourrira pas la gangrène des nationalismes et populismes égoïstes.
Tachons d’œuvrer afin que l'humanité sorte de cette crise plus sage, plus
solidaire, valorise davantage la coopération plutôt que la division, en
réalisant que, désormais, l'avenir de l'homme est plus que jamais une question
planétaire, et non une affaire de défense individuelle des nations.
- Publication de Eric Sagan du 06 avril 2020 (www.ericsagan.fr)
PDG d’une société d’informatique, Eric Sagan est auteur de "Lettre à Hervé" (2016), son premier livre..