mercredi 8 avril 2020

Ce qui arrive à la France, arrive avant tout dans le monde entier.



Ce qui arrive à la France, arrive avant tout dans le monde entier. Et, d'après la plupart des observateurs mondiaux, il s'agira de la plus grave crise depuis la seconde guerre mondiale. Bien plus grave que la crise de 2008, que le 11 septembre 2001, ou que d'autres événements de ces dernières décennies. 

Aujourd'hui, je ne cesse de lire des critiques, selon lesquelles il aurait fallu faire ceci, ne pas faire cela, à propos de masques, de dépistage, de confinement, de traitements, de chloroquine, d'hôpitaux, d'impôts, de subvention, de communication, de mondialisation, que sais-je... Tout le monde y va de son avis, et, pour beaucoup, se plaignent, partagent des statuts Facebook dont les auteurs semblent profiter de la situation pour mener des combats politiciens, ou se mettent à croire à des complots plus ou moins débiles. 

Il est extrêmement facile de critiquer les décisions de ceux qui agissent. Surtout quand les décisions :
- sont prises dans l'urgence, 
- concernent des dizaines de millions de personnes, des millions d'entreprises, des milliers de secteurs d'activité dépendants tous les uns des autres,
- doivent prendre en compte des milliers d'inconnues et de facteurs qui évoluent en permanence, 
- et surtout, bouleversent les ordres, les organisations et les priorités qui étaient en vigueur il y a encore seulement 3 semaines, et les bouleversent à un niveau de remise en cause qui n'avait pas été atteint depuis la dernière guerre mondiale. 

C'est facile de critiquer en disant "pourquoi pas plus de masques, plus de tests, blablabla...". Je me rappelle encore des moqueries autour d'un autre ministre qui avait commandé des milliers de vaccins, au cas où... Personne ne pouvait prévoir ce qui est arrivé. Il est impossible d'anticiper tous les événements ponctuels et aléatoires qui se produisent une fois par siècle. Cela aurait pu être un astéroïde frappant la Terre, une nouvelle version plus mortelle du Sida, une espèce invasive de sauterelles mutantes détruisant les céréales dans le monde entier, une algue empoisonnant les ressources en eau potable, que sais-je? Cela aura été un virus se transmettant par éternuement. Qu'aurait-on fait de millions de masques ou de respirateurs artificiels en cas d'un nouveau virus du Sida, d'une météorite ou d'une sauterelle mutante?

Dans une crise comme celle-ci, il est irresponsable de profiter de la confusion pour ajouter encore plus de confusion. 

Aucun gouvernement ne sera parfait pendant cette crise. Pourtant, j'ai le sentiment que la plupart des pays européens, dont la France, ont mieux réagi que les nations menées par des leaders populistes, arrivés récemment au pouvoir, et portés par cette vague de remise en cause des "élites" que la France connait depuis quelques temps. 

Pour ne citer que les principaux, oui, j'ai bien plus confiance aujourd'hui en la France pour faire face à cette situation d'urgence et de remise en cause qu'en Trump aux USA, Bolsonaro au Brésil, ou Boris Johnson en Grande-Bretagne... 

J'ai bien plus confiance en la parole des institutions, que ce soit celle des médias sérieux, celle des autorités qu'elles soient médicales, gouvernementales ou économiques, que celle des youtubeurs, instagrameurs, des médias "alternatifs" remplies de vérités "alternatives", de mon voisin gilet jaune ou qu'un ami de mon oncle qui connait un mec dont la sœur travaille dans un hôpital. 

Profiter de la situation pour se complaire et se vautrer dans la critique facile, crier à l'assassin, au complot, mener ses petits combats politiciens franco-français habituels en se servant de ce virus, relayer les théories fumeuses de profiteurs ou d'illuminés opportunistes, c'est pathétique, déplorable, irresponsable. 

Il ne s'agit pas de renoncer à améliorer le monde, de renoncer à toute critique constructive. Il s'agit de ne pas se laisser emporter par la panique, les raisonnements simplistes, le fatalisme, les aboiements de circonstance, les divisions délétères, face à une crise historique et planétaire.  

Alors s'il fallait un message politique, je me permets celui-ci : espérons que cette crise ne nourrira pas la gangrène des nationalismes et populismes égoïstes. Tachons d’œuvrer afin que l'humanité sorte de cette crise plus sage, plus solidaire, valorise davantage la coopération plutôt que la division, en réalisant que, désormais, l'avenir de l'homme est plus que jamais une question planétaire,  et non une affaire de défense individuelle des nations. 

-  Publication de Eric Sagan du 06 avril 2020 (www.ericsagan.fr)
PDG d’une société d’informatique, Eric Sagan est auteur de "Lettre à Hervé" (2016), son premier livre..

jeudi 23 janvier 2020

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde - Albert Camus


"Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d'établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu'elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d'alliance. Il n'est pas sûr qu'elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l'occasion, sait mourir sans haine pour lui. C'est elle qui mérite d'être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C'est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l'honneur que vous venez de me faire."

-  Extrait du discours de Stockholm par Albert Camus -
10 décembre 1957 - L'écrivain reçoit en Suède le prix Nobel de littérature.